top of page
Photo du rédacteurMestan Tekin

John Singer Sargent le Virtuose


John Singer Sargent (1856–1925) est l’un des peintres les plus influents de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècle. Reconnu pour sa virtuosité technique et son approche novatrice du portrait et du paysage, il a captivé le monde de l’art par sa capacité à transcender les conventions tout en rendant hommage aux traditions.

Il a été à l'honneur à l'atelier en automne grâce au choix collectif des élèves de certification. Vous pouvez encore quelques semaines admirer leurs travaux sur Sargent dans le cadre de leur programme sur place.


Que ce soit avec ses huiles ou avec ses aquarelles, Sargent fait partie de ces maîtres qui ont créés des chef d'oeuvres qui vous électrisent et vous surprennent quand vous les découvrez. Dans cet article je vous propose une exploration de son parcours artistique et de ses œuvres les plus marquantes, en intégrant une réflexion sur sa technique et ses choix pigmentaires qui donnent autant vie à ses compositions.


Une enfance cosmopolite et une formation sous les maîtres européens


John Singer Sargent naît à Florence en 1856, dans une famille américaine qui a quitté les États-Unis pour mener une vie plus libre et aventureuse en Europe. Ses parents, Fitz William et Mary Sargent, l’élèvent dans un environnement imprégné de culture. Florence, Rome, Paris : Sargent grandit entouré des trésors artistiques de la Renaissance italienne et des œuvres des grands maîtres flamands.


Ce mode de vie nomade et raffiné laisse une empreinte profonde. Dès son jeune âge, il développe une fascination pour la lumière et les textures, deux éléments qu’il explorera tout au long de sa carrière. Ses parents encouragent ses talents artistiques, et à 18 ans, il intègre l’École des Beaux-Arts à Paris. C’est là qu’il rencontre son premier grand mentor, Carolus-Duran, un portraitiste renommé qui prône une méthode de peinture directe, audacieuse, sans dessin préparatoire détaillé. Cette approche, qui privilégie les valeurs tonales et l’observation intuitive, devient pour Sargent une seconde nature.


John Singer Sargent par Mestan Tekin
Portrait de Carolus-Duran

Sargent fait ses débuts au Salon de Paris en 1877 avec Portrait de Carolus-Duran, une œuvre qui démontre déjà sa maîtrise technique et son assurance stylistique. Il combine la richesse des tons, obtenue grâce à des pigments comme l’ocre jaune et la terre d’ombre brûlée, avec une lumière éclatante, caractéristique de son admiration pour Velázquez. Très vite, il devient un portraitiste recherché, mais son œuvre dépasse les simples commandes mondaines pour explorer des questions plus universelles.


Portraits : entre virtuosité technique et profondeur psychologique


Madame X : audace et scandale


John Singer Sargent par Mestan Tekin
Madame X

Peut-être le portrait le plus célèbre de Sargent, Madame X (1884), incarne tout ce qui rend son art unique : une maîtrise technique exceptionnelle, une compréhension psychologique profonde, et une audace qui défie les conventions. Le tableau représente Virginie Gautreau, une mondaine parisienne connue pour sa beauté et son style. Mais à sa présentation au Salon de Paris, le tableau provoque un scandale.


Pourquoi ? Parce que Sargent ne se contente pas de représenter une femme élégante. Il la place dans une pose dramatique, presque sculpturale, où chaque détail — la robe noire, la peau pâle, l’expression distante — évoque à la fois le mystère et la sensualité. Une bretelle de robe tombante (retouchée par la suite) ajoute une touche d’audace qui choque les spectateurs de l’époque.


Sur le plan technique, Madame X est un tour de force. Sargent utilise une palette réduite mais puissante : le noir d’ivoire pour la robe, modulé par des glacis subtils pour capter les jeux de lumière, le blanc de plomb pour la peau, qui semble presque lumineuse, et des touches de vermillon pour rehausser la chaleur des lèvres. Le fond neutre, réalisé avec de la terre d’ombre, amplifie le contraste entre la silhouette et l’arrière-plan. La notion de palette très restreinte est fondamentale, car elle génère nécessairement une harmonie dans le tableau par le resserrement des catégories de pigments et mélanges.


Bien que le tableau ait entaché temporairement sa réputation à Paris, il est aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre, un modèle d’équilibre entre tradition et modernité.


Lady Agnew of Lochnaw : élégance et intimité


John Singer Sargent par Mestan Tekin
Lady Agnew of Lochnaw

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Lady Agnew of Lochnaw - detail

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Lady Agnew of Lochnaw - detail

Commandé en 1892 par Sir Andrew Agnew, ce portrait illustre une autre facette du talent de Sargent : sa capacité à capturer non seulement l’apparence d’un sujet, mais aussi son aura. Lady Agnew, assise dans un fauteuil Louis XVI, est représentée dans une posture détendue mais gracieuse. Son regard direct, légèrement énigmatique, crée une connexion immédiate avec le spectateur. Je trouve que ce portrait est exaltant car il a tout ce qu'il peut y avoir d'efficace dans un portrait. Une composition exemplaire, une palette subtile et harmonieuse, une pose agréable qui provoque un certain bien être, un regard on ne peut plus accrocheur et une execution stylistique lègère, jamais surchargée.


Ce qui frappe dans ce tableau, c’est la lumière. Elle enveloppe le modèle, adoucit les contours et met en valeur la texture soyeuse de sa robe lavande. Sargent emploie des pigments comme le jaune de Naples pour les reflets chauds et la terre de Sienne brûlée pour les ombres délicates. Les détails du fauteuil, peints avec des nuances de vert oxyde de chrome, équilibrent la composition sans détourner l’attention de Lady Agnew.


Avec ce portrait, Sargent démontre une nouvelle fois son génie pour l’intimité et la sophistication. Il ne se contente pas de représenter, il raconte une histoire : celle d’une femme complexe, à la fois assurée et vulnérable.


Œuvres majeures : explorations audacieuses de la lumière et du mouvement


Fumée d’ambre gris : introspection et lumière diffuse


John Singer Sargent par Mestan Tekin
Fumée d’ambre gris

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Fumée d’ambre gris

Fumée d’ambre gris (1880) est une œuvre orientalisante inspirée des voyages de Sargent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Contrairement à d’autres artistes orientalistes, Sargent aborde son sujet avec sobriété et respect. La scène montre une femme voilée, assise dans un intérieur richement texturé, respirant les fumées d’un récipient. Comme ceux qui me connaissent le savent, c'est un thème qui m'occupe en ce moment et dans le processus créatife nous devons toujours être à la recherche de ce qui a été réalisé avant soit pour consolider son approche et s'en distancier avec sagesse.


La lumière diffuse, filtrée par l’espace clos, crée une atmosphère mystique. Sargent utilise le blanc de plomb pour le voile translucide, le jaune de Naples et la terre d’ombre brûlée pour les tissus somptueux, et le bleu outremer pour des accents décoratifs subtils. Le rendu des plis, des reflets métalliques et de la fumée évoque une tranquillité presque méditative.


El Jaleo : une explosion de mouvement


John Singer Sargent par Mestan Tekin
El Jaleo

John Singer Sargent par Mestan Tekin
El Jaleo

John Singer Sargent par Mestan Tekin
El Jaleo

El Jaleo (1882) est un tableau monumental qui capture l’intensité d’une danse flamenco. La danseuse, légèrement excentrée, est saisie en plein mouvement, sa robe blanche tourbillonnante illuminée par une lumière dramatique. Les musiciens, plongés dans l’ombre, forment une toile de fond presque théâtrale.


Pour créer cette tension entre lumière et obscurité, Sargent emploie le noir d’ivoire pour les ombres profondes et le blanc d’argent pour la robe éclatante. Chaque coup de pinceau semble résonner comme une note de musique, traduisant l’énergie brute et la passion du flamenco. Ce tableau est plus qu’une scène : c’est une célébration vibrante de la culture espagnole.


Le processus créatif d'un tableau aussi monumental est intéressant. Lors de son séjour en Andalousie il a cumulé des esquisses réalisées lors de spectacles de flamenco, retravaillés dans ses hôtels, parfois sous forme de pochades. C'est dans son atelier à Paris qu'il compose l'ensemble sur une toile immense. C'est pour cette raison que je vous mets ici quelques unes de ses études. J'espère que cela vous stimulera à réaliser des esquisses pour capter vos idées.



John Singer Sargent par Mestan Tekin
Study for El Jaleo

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Study for El Jaleo

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Study for El Jaleo

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Study for El Jaleo

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Study for El Jaleo

Corfu: Lights and Shadows


John Singer Sargent par Mestan Tekin
Corfu: Lights and Shadows

Réalisée en 1909, cette aquarelle méditative est un chef-d’œuvre de simplicité et de lumière. Elle montre des oliviers projetant des ombres complexes sur un sol éclatant. Ici, Sargent démontre son habileté à capter l’essence d’un paysage avec des moyens minimalistes.


Les lavis transparents de vert émeraude et de oxyde de chrome pour le feuillage, combinés aux touches de gris de Payne pour les ombres, traduisent une vibration lumineuse qui semble presque palpable. L’aquarelle, un médium souvent sous-estimé, devient entre les mains de Sargent un outil d’une puissance remarquable. Nous pouvons faire le lien avec Turner plus d'un demi-sècle avant lui.



Carnation, Lily, Lily, Rose : Une symphonie florale


John Singer Sargent par Mestan Tekin
Carnation, Lily, Lily, Rose

Peinte entre 1885 et 1886, Carnation, Lily, Lily, Rose est une œuvre unique dans la carrière de Sargent. Elle représente deux jeunes filles, lampions à la main, éclairées par la lumière douce du crépuscule. Inspirée par un séjour en plein air en Angleterre, cette toile témoigne d’une influence impressionniste tout en conservant la rigueur technique propre à Sargent.


L’œuvre se distingue par son atmosphère féérique et son traitement subtil de la lumière. Les lampions, sources de lumière artificielle, se mêlent aux derniers éclats du jour, créant une gamme de couleurs vibrantes. Sargent emploie des pigments tels que le blanc d’argent et le jaune de cadmium pour traduire la chaleur et la douceur des flammes, tandis que le rose madder et le violet de cobalt enrichissent les tons des fleurs. Les détails minutieux des lys et des œillets, réalisés avec des touches de blanc de plomb, contrastent avec la fluidité des lavis utilisés pour le fond végétal.


Avec Carnation, Lily, Lily, Rose, Sargent atteint une forme de perfection technique, mais aussi émotionnelle. La scène, intime et délicate, évoque la nostalgie de l’enfance et l’émerveillement face à la nature et à la lumière. Ce tableau, souvent considéré comme l’une de ses œuvres les plus poétiques, illustre à quel point Sargent pouvait intégrer des éléments impressionnistes tout en conservant une discipline académique rigoureuse. On est ici face à un chef d'œuvre absolu!


Mountain Fire : mon coup de cœur pour cet article

... Et un clin d'oeil direct aux élèves aquarellistes de l'atelier :-)

John Singer Sargent par Mestan Tekin
Mountain Fire

Dans Mountain Fire, John Singer Sargent capte une scène à la fois dramatique et éphémère, où un incendie de montagne éclaire un paysage sombre et escarpé. La composition est dominée par un jeu de contrastes saisissants : le feu, avec ses couleurs chaudes et vibrantes, s’oppose aux tons froids et austères des montagnes environnantes. Sargent choisit une perspective abaissée qui donne de la monumentalité à la scène, tout en immergeant le spectateur dans la puissance brute de la nature. Le sujet, rare dans son œuvre, met en avant son intérêt pour les phénomènes lumineux fugaces et la manière dont ils transforment un environnement.


Techniquement, l’aquarelle illustre la virtuosité de Sargent dans le maniement des pigments et des lavis. Les flammes sont rendues avec du rouge cadmium et du vermillon, mêlés à des touches d’ocre jaune pour capturer l’intensité de la chaleur. Les montagnes et la fumée sont travaillées avec des tons froids comme le bleu céruléen, le gris de Payne et la terre d’ombre naturelle, créant des contrastes chromatiques marqués. Les coups de pinceau rapides traduisent le mouvement des flammes et des volutes de fumée, tout en laissant certaines zones inachevées, suggérant une spontanéité et une urgence dans l’exécution. On est ici à la frontière de l'abstraction péysagère.



Héritage et pertinence


Les œuvres de Sargent, qu’il s’agisse de portraits sophistiqués ou de paysages méditatifs, continuent de fasciner pour leur complexité technique et émotionnelle. Grâce à sa maîtrise de la lumière, de la couleur et de la texture, il reste une figure incontournable de l’histoire de l’art, inspirant des générations d’artistes à marier tradition et innovation.

Il incarne l’exemple parfait du peintre qui s’appuie sur l’héritage des maîtres du passé pour construire une base technique et visuelle solide, qu’il transcende ensuite en exprimant une vision du monde et une modernité qui lui sont propres.


En atelier, une observation détaillée de sa technique à l’huile permet parfois de mieux comprendre des notions fondamentales comme le point focal ou la simplification du modelé. Quant à l’étude de ses aquarelles, elle constitue une excellente source d’inspiration pour travailler sur la profondeur et les contrastes vifs, tout en conservant un geste spontané au pinceau.


Si vous souhaitez une analyse approfondie de certaines œuvres en atelier, n’hésitez pas à en faire la demande. De même, si vous avez des questions sur l’artiste ou sa technique, vous pouvez utiliser la section commentaire ou m’en parler directement en atelier. Sachez que l’atelier dispose d’un large éventail d’ouvrages sur Sargent, accessibles à tous.


À vos pinceaux !

88 vues2 commentaires

Posts récents

Voir tout

2 Comments


patricia V
il y a 3 jours

Une très belle découverte, je ne connaissais pas ce peintre. Merci pour ce partage! Il faudra que tu m'expliques ce qu'est la simplification du modelé.

Like
Mestan Tekin
Mestan Tekin
il y a 2 jours
Replying to

On va voir ça ensemble en cours. Ça implique de synthétiser ce que tu vois en quelques coups de pinceaux.

Like
bottom of page