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Le Rouge de Cadmium : L’incendie dans votre palette

Photo du rédacteur: Mestan TekinMestan Tekin

Le rouge de cadmium est l’un des pigments les plus emblématiques de la palette restreinte mais aussi dans la peinture moderne. Son intensité, son opacité et sa stabilité


Cadmium red - Mestan Tekin Art
Cadmium Red pigment

en ont fait un incontournable pour de nombreux artistes, aussi bien modernes que contemporains. Toutes les gammes d’oranges intenses, les carnations vibrantes et chaleureuses, les fleurs incandescentes… trouvent leur éclat grâce à ce pigment.


Pourtant, avant son invention au début du XXe siècle, les peintres utilisaient une large variété de pigments rouges, chacun avec ses propres caractéristiques. Cet article, qui s’inscrit dans le cycle consacré à la palette restreinte, explore son origine, ses propriétés chimiques et son rôle dans l’histoire de la peinture. Je vous présenterai également quelques exemples d’utilisation chez des artistes tels que Bacon, Matisse ou encore O’Keeffe.


1. Origine et découverte


Le cadmium a été découvert en 1817 par le chimiste allemand Friedrich Stromeyer. Cependant, ce n’est qu’au début du XXe siècle que le rouge de cadmium a été mis au point, en tant qu’alternative plus stable et moins toxique aux rouges traditionnels comme le cinabre (sulfure de mercure) et les laques de garance.


Introduit sur le marché des peintres dans les années 1910-1920, il est rapidement devenu un favori des artistes modernes grâce à son éclat et à sa résistance à la lumière. Il occupe une place de choix dans une palette restreinte, bien que d’autres alternatives stables existent, comme nous le verrons.


2. Les pigments rouges à travers l’histoire de la peinture


Bien avant l’apparition du rouge de cadmium, les artistes avaient accès à une large gamme de rouges naturels et synthétiques, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients. Voici un bref tour d’horizon :

Ocre rouge (Hématite) : Utilisé dès la Préhistoire, ce pigment à base d’oxyde de fer est durable mais relativement terne. Il a été employé dans l’art pariétal et, plus tard, dans la peinture à fresque.

Cinabre / Vermillon : Ce sulfure de mercure d’un rouge vif fut l’un des pigments les plus prisés dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Très opaque et lumineux, il était toutefois toxique et sujet à l’assombrissement avec le temps. Ci-dessous vous trouverez un exemple célèbre avec le portrait du pape Innocent X par Velasquez. Les variations de teintes dans les rouges pour donner la lumière sont réalisées avec du blanc de plomb, de l’ocre et du minium. Pour les parties plus sombres il utilisait du noir d’os, et pour les nuances bordeaux, de la laque de garance et de la terre d’ombre.


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Diego Velasquez - Pape Innocent X - Usage du vermillon en peinture classique

Laques de garance et de cochenille : Issues de matières organiques (plantes ou insectes), ces laques étaient appréciées pour leurs teintes riches et profondes. Cependant, elles souffraient d’un manque de stabilité à la lumière, comme la plupart des pigments d’origine organique.

Minium (Rouge de plomb) : Très utilisé dans l’enluminure médiévale, ce pigment d’un rouge orangé vif était extrêmement couvrant, mais instable, virant au brun avec le temps.

Rouge vénitien et rouge indien : Variantes d’oxydes de fer, ces pigments étaient très prisés par les peintres de la Renaissance et du Baroque pour leurs tons chauds et naturels. Disponibles encore aujourd’hui dans différentes marques de peinture, ils s’intègrent parfaitement dans une palette de terres.

Rouge de Mars : Développé au XIXe siècle, ce pigment synthétique à base d’oxyde de fer offrait une alternative plus stable aux rouges naturels.


Avec l’industrialisation et les progrès de la chimie, le rouge de cadmium a remplacé nombre de ces pigments. Il combinait en effet l’intensité du vermillon avec la durabilité et la résistance aux altérations des rouges d’oxyde de fer… donc le mouton à cinq pattes des rouges !


3. Propriétés physico-chimiques


Composition et fabrication


Le rouge de cadmium est un sulfoséléniure de cadmium (CdS·CdSe), dont la teinte varie du rouge orangé au rouge profond selon la proportion de séléniure.


Il est obtenu par précipitation chimique, puis calciné à haute température pour stabiliser sa structure. Cette technique lui confère :

• Une opacité exceptionnelle

• Une résistance aux UV et aux solvants

• Une intensité chromatique unique


Cadmium Red - Mestan Tekin Art
Rouge de cadmium

Pouvoir colorant et stabilité

Pouvoir couvrant élevé : Idéal pour les empâtements en peinture à l’huile et en acrylique.

Résistance aux altérations : Contrairement aux rouges organiques, il ne se décolore pas avec le temps.

Mélanges chromatiques riches : Il produit des oranges éclatants avec le jaune de cadmium et des violets profonds avec l’outremer. Parfois, il se rapproche du noir. Si vous avez travaillé le cercle chromatique en atelier, vous avez sans doute remarqué cette profondeur de valeur et de couleur.


4. Utilisation en peinture


Le rouge de cadmium est un pigment qui capte immédiatement l’attention. Son intensité et sa richesse le rendent parfait pour exprimer la chaleur et la force.


Henri Matisse – La Blouse Roumaine (1940)


Matisse a souvent utilisé le rouge de cadmium dans ses peintures vibrantes. Dans La Blouse Roumaine, le rouge éclatant du fond met en valeur les motifs délicats de la blouse, contrastant avec le blanc et le bleu.


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Matisse - La Blouse Roumaine

Mark Rothko – Red on Maroon (1959)


Rothko a largement exploré le rouge de cadmium dans ses compositions minimalistes. Dans Red on Maroon, la profondeur de la couleur et ses subtiles variations montrent comment ce pigment peut créer des atmosphères intenses et méditatives. La technique de Rothko est très intéressante, car il superpose des couches fines en laissant affleurer leur succession dans les bords de ses formes simples. La profondeur ressentie vient de la superposition à outrance. Dans cet exemple l’opacité du rouge cadmium est un défi pour étirer la couleur vers la transparence.


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Francis Bacon – Étude d’après Vélasquez (1953)


Bacon était fasciné par le rouge de cadmium, qu’il utilisait pour ses fonds dramatiques. Dans sa série inspirée du Portrait d’Innocent X de Vélasquez, ce rouge confère à la scène une intensité crue et oppressante. Il éclaircit très peu le pigment pour garder une saturation très forte et donner ce côté sanguin.


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Francis Bacon - Étude d’après Velasquez

Georgia O’Keeffe – Red Canna (1924)


O’Keeffe exploite la puissance du rouge de cadmium pour ses fleurs sensuelles et vibrantes. Red Canna en est un parfait exemple, où la profondeur du rouge illumine les formes organiques. Elle donne de la lumière sur ses pétales rouges en ajoutant du jaune. Certaines pétales sont éclaircies avec du blanc de zinc pour garder la même teinte tout en prenant la lumière.


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Georgia O’Keeffe - Red Canna

Lucian Freud – Benefits Supervisor Sleeping (1995)


Freud utilisait fréquemment le rouge de cadmium pour capter les nuances chaudes de la peau humaine. Dans ses portraits, il l’emploie pour accentuer la chaleur du corps et donner du volume à la chair. Dans l’exemple ci-dessous je vous présente une vue rapprochée du buste. On peut clairement voir les parties les plus chaudes de la carnation dans laquelle le pourcentage de rouge cadmium est plus fort. Sa palette est très désaturée, donc très mélangée.


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Lucian Freud – Benefits Supervisor Sleeping

5. Toxicité et alternatives modernes


Le rouge de cadmium, bien que moins dangereux sous forme de pigment, reste un composé contenant du cadmium, un métal toxique. De ce fait, certaines réglementations ont été mises en place pour limiter son usage dans certaines peintures. Aujourd’hui, la plupart des peintures au cadmium disponibles sur le marché sont formulées pour être non toxiques.


Alternatives chromatiques

Pyrrole Red (PR 254, PR 255) : Un rouge intense, souvent utilisé comme substitut.

Naphthol Red (PR 112, PR 170) : Moins opaque, mais proche en teinte.

Quinacridone Red (PR 209) : Plus transparent, mais offrant une alternative vibrante.


Conclusion


Le rouge de cadmium est un pigment phare de la peinture moderne et contemporaine. Son évolution s’inscrit dans une longue histoire de pigments rouges, où il s’est imposé comme une alternative stable et éclatante aux matériaux plus fragiles ou toxiques du passé.


Que ce soit dans les toiles éclatantes de Matisse, les compositions colorées de Rothko ou les portraits vibrants de Freud, ce rouge continue de captiver par son intensité incomparable. Il demeure une référence incontournable pour les peintres en quête de puissance chromatique.


Il constitue également une excellente alternative pour les compositions texturées abstraites ou pour des aplats inspirés du pop art. Les possibilités de mélange pour moduler des ombres et des lumières sont infinies, et sa souplesse la rend très agréable à travailler.


Si vous avez des questions sur ce pigment, son utilisation ou certains mélanges, n’hésitez pas à m’en parler en atelier ou par e-mail.


À vos pinceaux !

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