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Ocre jaune : Une histoire de lumière et de terre

Photo du rédacteur: Mestan TekinMestan Tekin

Dernière mise à jour : 29 janv.

L’ocre jaune. Rien que son nom évoque une chaleur éclatante et une certaine familiarité. Ce pigment minéral, issu des entrailles de la terre, n’est pas qu’une simple couleur : il incarne une longue tradition artistique et culturelle qui traverse les âges. L’ocre jaune est un des tout premiers pigments que l’humanité ait utilisés pour s’exprimer. Extraite directement de la terre, cette matière brute a servi, depuis les temps préhistoriques, à marquer les parois des grottes, habiller les fresques murales antiques et enrichir les toiles des grands maîtres. Chaque coup de pinceau ou de doigt utilisant ce pigment raconte une histoire d’admiration pour la nature et d’exploration des potentialités offertes par la matière.


L’ocre jaune est un pigment de la palette restreinte en atelier. Dans cet article, nous allons plonger dans l’histoire de l’ocre jaune, décrypter ses propriétés chimiques uniques et explorer ses multiples usages dans les pratiques artistiques passées et contemporaines.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art


Une origine antique et universelle


L’ocre jaune est l’un des premiers pigments que l’humanité ait jamais utilisés. Dès la préhistoire, nos ancêtres l'extrayaient de la terre pour créer des fresques sur les parois des grottes. Les peintures rupestres de Lascaux, datées de plus de 17 000 ans, en offrent un témoignage fascinant. Ces scènes préhistoriques font un usage intensif de l'ocre jaune pour représenter les animaux et des motifs symboliques. Ce pigment donne une chaleur et une texture vivantes, même des millénaires plus tard. Autant que les pigments de terre plus oxydés, l’ocre était facilement accessible et suffisamment recouvrant.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
Grotte de Lascaux

Ce pigment ne se limite pas à une région ou à une époque. De l’Afrique aux Amériques, en passant par l’Europe et l’Asie, l’ocre jaune était présent partout où la terre en offrait. Les cultures l’ont adopté pour ses qualités esthétiques autant que pour ses vertus symboliques et pratiques.


Dans l’Égypte ancienne, on utilisait l'ocre jaune dans les fresques murales pour représenter la chair des femmes, en contraste avec le rouge de fer qui servait pour les hommes. On peut encore admirer des exemples remarquables dans les tombes thébaines, où les scènes de banquets et d’offrandes illustrent une vivacité chromatique unique, amplifiée par ce pigment naturel. Les portraits de la tombe de Nebamun (Thèbes, Égypte ancienne) montrent l'utilisation de l'ocre jaune pour dépeindre ces tons chair. Sa durabilité a permis à ces œuvres de rester vibrantes malgré les épreuves du temps.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
Tombe de Nebamun

Les Romains, eux, l’employaient dans leurs fresques murales et leurs sculptures. Par exemple, les fresques de Pompéi, préservées par l’éruption du Vésuve, révèlent comment l’ocre jaune ajoutait profondeur et lumière aux paysages et aux éléments architecturaux peints. La fresque romaine de la Villa des Mystères utilise l'ocre jaune pour représenter des éléments décoratifs, des vêtements dorés et des fonds lumineux qui contrastent avec les rouges profonds.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
Villa des Mystères - Pompéï


Une composition minérale simple mais fascinante


L’ocre jaune est une argile colorée par la goéthite (α-FeO(OH)), un minéral de fer. Sa teinte varie du jaune pâle au jaune doré en fonction de sa pureté et des proportions des autres minéraux qui l’accompagnent.


Lorsqu’on chauffe l’ocre jaune à une température d’environ 300 à 400 °C, la goéthite se transforme en hématite (Fe₂O₃), donnant naissance à l'ocre rouge. Cette transformation est également exploitée par les artistes qui cherchent à enrichir leur palette de couleurs.

Un des grands avantages de l’ocre jaune est sa stabilité. Contrairement à d’autres pigments organiques ou synthétiques, il ne se dégrade pas sous l’effet de la lumière ou de l’humidité. Cette durabilité a fait de lui un allié indispensable pour les artistes à travers les âges.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art

L'ocre jaune dans les techniques picturales


Fresques murales


Dans la peinture à fresque, l’ocre jaune jouait un rôle essentiel. Son excellente adhérence sur l’enduit frais, combinée à sa résistance à la lumière, en faisait un choix privilégié. Les fresques romaines de Pompéi en sont une preuve éclatante. L’intensité de l’ocre jaune dans ces œuvres provient souvent de sa capacité à se fondre avec d’autres pigments pour créer des nuances vibrantes.


L'ocre jaune pouvait aussi être mélangé avec des pigments verts comme la terre verte ou la malachite pour obtenir des teintes de végétation plus naturelles. Les fresquistes appliquaient parfois des glacis d'ocre jaune sur une base d'ocre rouge pour nuancer l'effet lumineux et adoucir les transitions.


Peinture à l’huile


Avec l’avènement de la peinture à l’huile au XVe siècle, l’ocre jaune trouva une nouvelle vie. Les artistes flamands, comme Jan van Eyck, l’utilisaient dans leurs couches de fond ou pour modeler des effets de lumière subtils. Dans les célèbres panneaux de l’“Agneau mystique”, l’ocre jaune a été utilisé pour créer une base chaleureuse qui transparaît à travers les glacis, ajoutant profondeur et dimension.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
L’Agneau Mystique, Jan Van Eyck

L’ocre jaune, mélangé à de l’huile de lin, crée une couleur douce et semi-transparente, idéale pour le glacis. Associé à des pigments plus vifs comme le vermillon ou l’outremer, il servait à tempérer les contrastes tout en maintenant une harmonie globale dans la composition. Les maîtres hollandais utilisaient également l’ocre jaune pour créer des tons de carnation en le combinant à du blanc de plomb et une pointe de rouge.


La Vocation de Saint Matthieu de Caravage: 

Dans cette scène dramatique, le Caravage utilise l’ocre jaune pour modeler subtilement les tons chair et les reflets dorés de la lumière pénétrant dans la pièce. Le pigment apporte une richesse texturale et participe à l’atmosphère réaliste de la composition.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
La Vocation de Saint Matthieu - Le Caravage


Aquarelle et gouache


Dans l’aquarelle, l’ocre jaune est prisé pour sa capacité à donner des tons chauds et naturels. William Turner, maître des paysages aquarellés, utilisait régulièrement l’ocre jaune pour esquisser des couchers de soleil dorés et des collines baignées de lumière.


L’opacité naturelle de l’ocre jaune, bien qu’atténuée dans l’aquarelle, confère une stabilité remarquable aux compositions. En mélange avec des bleus comme l’indigo ou le bleu de Prusse, il permettait de créer des gris colorés ou des ombres complexes. En gouache, il était mélangé avec du blanc pour des ciels pâles ou des reflets dorés.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
Grenoble Bridge - Turner

Les Tournesols de Vincent van Gogh:

Van Gogh utilisait l'ocre jaune pour les fonds et les détails des fleurs, créant des contrastes chaleureux avec ses jaunes de chrome plus vibrants. Ce pigment apporte de la profondeur et une chaleur terreuse.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
Les Tournesols - Van Gogh

Peinture contemporaine et matière


Aujourd’hui, les artistes utilisent encore l'ocre jaune, non seulement comme pigment mais également pour sa matière. Dans l’art contemporain, il devient un élément physique, ajouté à des mélanges de plâtre ou de résine. Yves Klein, bien qu’associé au bleu, expérimentait aussi des pigments comme l’ocre jaune pour explorer la matérialité et l’énergie des couleurs.


Les peintres modernes mélangent souvent l’ocre jaune avec des médiums acryliques pour obtenir des effets de transparence ou de texture granuleuse. Dans des œuvres abstraites, il peut être projeté sur la toile en fines couches pour créer un effet de profondeur subtile.


Composition VIII de Wassily Kandinsky

Dans ce chef-d’œuvre abstrait, Kandinsky intègre de l'ocre jaune pour apporter une base émotionnelle et stabilisatrice dans une composition riche en contrastes.


Yellow Ochre by Mestan Tekin Art
Composition VIII - Kandinsky


Un pigment à échelle industrielle


Avec l’industrialisation, l’extraction et la production de l’ocre jaune ont connu une révolution. La région de Roussillon, en France, est devenue célèbre pour son ocre. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, cette industrie était florissante, fournissant des pigments aux artistes comme aux bâtiments.


Cependant, l’arrivée des pigments synthétiques au XXe siècle a mis à mal l’usage traditionnel de l’ocre. Les pigments synthétiques étant moins coûteux et plus facilement modulables, l’ocre naturelle a perdu de sa popularité. Mais elle n’a jamais totalement disparu.




Pourquoi l’ocre jaune reste précieuse aujourd’hui


Dans un monde où les artistes cherchent à réconcilier tradition et modernité, l’ocre jaune retrouve une place de choix. Sa stabilité chimique et son origine naturelle attirent ceux qui souhaitent travailler avec des matériaux écologiques.


Les restaurateurs d’art, eux, le considèrent comme un allié indispensable pour recréer les palettes des artistes anciens. Utiliser de l’ocre synthétique dans une restauration serait une erreur : les textures et les résultats visuels diffèrent.


Conclusion


L’ocre jaune n’est pas qu’une couleur, c’est un voyage dans le temps, une immersion dans l’histoire de l’art et de la terre. Il incarne une connexion profonde entre l’artiste et la nature, un rappel des ressources inestimables que le sol peut offrir, au même titre que les terres de Sienne et les terres d’ombre. De Lascaux à l’art contemporain, ce pigment a été une constante dans l’histoire de l’art, traversant les âges avec une résilience et une beauté incomparables. Ses propriétés, sa durabilité et son esthétique font de lui un allié incontournable des artistes et des restaurateurs.


Aujourd’hui encore, il symbolise un retour à l’authenticité et à la durabilité dans un monde en quête de sens et de respect pour l’environnement. L’ocre jaune nous rappelle que parfois, les plus grandes richesses se trouvent sous nos pieds, prêtes à être transformées en lumière et en art.


Si vous souhaitez utiliser l’ocre jaune dans une composition à l’atelier ou de votre côté, n’hésitez pas à m’en parler en cours et je vous expliquerai comment l’utiliser au mieux dans vos mélanges en prenant en compte ses caractéristiques d’opacité et de chroma.


À vos pinceaux!

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2 Comments


Merci pour ce magnifique et passionnant article, qui donne vraiment envie de prendre des pinceaux et d’essayer diverses compositions.

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